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3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 11:06

Continuons à parler avec Pavel Sutkine, un des auteurs du livre « Histoire non-inventée de la cuisine soviétique ».

Pour trouver le début : clic

 

Y a-t-il des plats ou des boissons qui ont été inventés à l’époque soviétique ?

Oui, bien sûr. La restauration publique en URSS n’était pas un tel monstre comme on la présente parfois. Par exemple, comment devenait-on chef-cuisinier avant la révolution? On commençait comme garçon de courses, puis on épluchait les pommes de terre, puis on coupait les légumes – et en 10–12 ans on devenait cuisinier. Pendant l’époque soviétique, on a établi une formation de cuisinier, on a élaboré un nouveau modèle d’alimentation – c’était toute une partie de la culture ! Naturellement qu’on créait de nouveaux plats : les gâteaux « Kievien » (« Kiévsky »), « Prague » (« Praga »), « Lait d’oiseau » (« Ptitchié moloko »)...

gâteau « Napoléon »

Gâteau « Napoléon », un vrai hit de l’époque soviétique. Pour le moment on peut l’acheter dans n’importe quel magasin de produits alimentaires mais à l’époque c'était une restriction et on le cuisinait soi-même. Si une femme savait faire un bon « Napoléon », c’était un marqueur de son art culinaire. Photo du livre « Histoire non-forgée de la cuisine soviétique ».

Il n’y a que des pièces de pâtisserie !

La simplification générale des recettes a fait que les gâteaux avec leurs chapeaux de crème sont devenus un symbole de l’abondance vers laquelle le Parti menait son peuple.

Avant la révolution, les gâteaux n’avaient pas de succès en Russie. Dans la littérature culinaire de la fin du XIXe siècle il n’y en a environ que 10 articles. En URSS, vers les années 1960, la pâtisserie s’est épanouie, on a inventé des gâteaux différents. Le « Kievien » (« Kiévsky ») était la spécialite de l’usine Karl Marx de Kiev. Cette entreprise existe encore, elle appartient au holding « Roshen ». Elle produit un gâteau sous le même titre mais les résultats sont plus tristes ... D'ailleurs, qui sait ce que nous dirions si nous regoûtions maintenant la version soviétique.

 

gâteau « Kievsky »

Gâteau « Kievien », version contemporaine.

Photo du livre « Histoire non-inventée de la cuisine soviétique ».

 

A propos, elle incluait des noix de cachoux, pas l’arachide. A l’époque où ce gâteau a été inventé, l’URSS collaborait avec l’Inde qui venait de devenir indépendante. Son gouvernement n’était pas très fort dans la politique extérieure et payait pour l’outillage etc avec les produits traditionnels. Puis les Indens ont compris qu’ils pouvaient les vendre contre des devises fortes, et les confiseurs soviétiques étaient obligés de remplacer les noix de cachoux par  l’arachide qui était moins chère.

affiche soviétique des années 1920 avoska

« Travailleurs, n'ayez crainte de la cherté

et de la NEP ! Achetez le pain bon marché !

Rabais à partir de 15 % »,

une affiche de la fin des années 1920.  

Photos du livre « Histoire non-inventée

de la cuisine soviétique ».

 Avoska (filet à provisions) – inventée au XIXe

siècle par un Tchèque, cet outil était très

populaire en URSS. Son nom russe provient du

mot« avos’ » - « peut-être » car on tenait

toujours une avoska dans sa poche pour

le cas où on trouverait peut-être quelques

produits à acheter dans un magasin.

 

Outre les pâtisseries, qu’est-ce que les cuisiniers soviétiques ont inventé ?

Dans les années 1950-60, on a ouvert une grande quantité de restaurants avec des titres « ethniques » comme « Arménie », « Bakou », « Ouzbékistan ». Ils offraient la cuisine des républiques soviétiques – et voilà comment cela arrivait. Par exemple, pour le restaurant « Ouzbékistan », on invitait des cuisiniers de la ville de Tachkent pour élaborer un menu. On disait : « Bon, commençons par les hors-d'œuvre. Qu’est-ce que vous mangez chez vous après le premier petit verre de vodka ?» « Nous prenons de la viande bouillie et taillée en julienne, ajoutons du radis blanc et de la susma ...» - « C’est quoi votre susma ?» « C’est une boisson de lait caillé. » « Elle doit se gâter vite, ça ne passera pas. Faisons autrement : taillons la viande en julienne, ajoutons du radis, de l’oignon sauté et mélangeons avec de la mayonnaise. Ca sera la salade « Tachkent », c'est décidé. » Encore maintenant, ce plat est dans le menu de tous les restaurants ouzbéques bien qu’il n’a presque aucun rapport à la cuisine ouzbeque.

Vitrine contemporaine du GUM

Plats ouzbéques : tcheboureks (petits pâtés frits à la viande), dolmas (feuilles de vigne farcies de la viande de mouton), pilaf. Vitrine contemporaine en style « soviétique », GUM.

 

Pourquoi la cuisine des républiques soviétiques était devenue à la mode ?

C’était la conséquence logique de la politique du Parti. Khrouchtchev a proclamé que le peuple soviétique était « une nouvelle communauté historique » et il fallait la créer, y compris en introduisant la cuisine nationale des républiques. Nous avons parlé avec Vladimir Malyshkov - du 1993 au 2011, ministre du gouvernement de Moscou. Dans les années 1960-70, il était le chef de la gestion de la restauration collective dans la ville lettoniene Daugavpils et puis dans la ville de Krasnoïarsk. Il nous a décrit d'une façon pittoresque la création d’un des premiers restaurants ouzbéque en Sibérie. Pour le réaliser, Malyshkov est allé à Tachkent, y a rencontré le Secrétaire général du Parti communiste de la République d'Ouzbékistan pour organiser une équipe de cuisiniers, pour trouver des artisans ouzbéques qui ont décoré le restaurant avec de magnifiques sculptures sur bois etc. L’entreprise était bien faite et avait du succès. Pendant la Perestroika tout a été perdu mais c’est une autre histoire ...

 

Est-ce que les Russes contemporains cuisinent les plats « soviétiques »?

La cuisine nationale est ce que mange la plupart des habitants du pays. Dans ce sens nous sommes sûrs qu’à Moscou, à Kazan ou à Vladivostok le menu actuel de nos compatriotes ne contient pas de plats à la mode comme sushi, spaghetti et foie gras. Il contient ces kachas et ces potages, ces boulettes et ces gâteaux que nos mères et grand-mères nous cuisinaient. Voilà pourquoi la deuxième partie de notre livre s’appelle « Recettes non-oubliées ». Ce sont les plats de notre cuisine que les habitants de la Russie connaissent depuis l’époque soviétique.

goloubtsi, cuisine russe

Une des recettes non-oubliées : les goloubtsi (cigares de chou farcis). Il y en a deux sortes : ordinaires et paresseux. Si je n’oublie pas, je demanderai à Olga de nous donner la recette ))

Photo du livre « Histoire non-inventée de la cuisine soviétique ».

 

En Russie, on tâche de « réanimer » la cuisine russe traditionnelle. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Voyez-vous, il est impossible d’entrer deux fois dans le même fleuve. On ne porte pas maintenant les chapeaux d'ourson des boyards, on ne parle pas la langue du XVIIIe siècle. Avec la cuisine c’est le même : les koulibiaks grasses à la pâte lourde, les potages où flotte un morceau de lard – ils étaient bons pour un goût médiéval. Maintenant, on a une autre représentation de la nourriture bonne et saine. Pour garder les traditions historiques, on a besoin d’une autre stratégie : il faut « relire », « reinventer » les plats russes traditionnels, les cuisiner de manière qu’ils répondent au rythme de la vie contemporaine.

vaisselle de l’époque soviétique vaisselle de l’époque soviétique

 

Vaisselle de l’époque soviétique, années 1960-1970 (?). Vitrines contemporaines du GUM.

 

Peut-être c’est un sujet pour votre nouveau livre ? Quels projets avez-vous ?

Depuis quelques mois il y a la version russe d’Amazon. Là va apparaître notre livre « Visages de la cuisine russe » qui porte sur les gens, y compris les étrangers, qui ont laissé des traces dans notre gastronomie. Par exemple, on va parler de Marie-Antoine Carême, un chef-cuisinier français qui n’a passé que quelques mois en Russie mais est devenu une icône de l’art culinaire russe. En outre, nous préparons un livre sur la cuisine soviétique pour une maison d’édition anglaise et travaillons sur le livre « Histoire des produits alimentaires russes ».

 

Ils existent ?

C’est une question importante. On dit maintenant que tous nos produits ne sont pas russes d’origine : le pain provient de l'Empire byzantin, le riz – de l’Asie centrale, les piélménie sont un plat tatar et la pomme de terre est de l’Amerique. Mais pouvez-vous dire aux Italiens que les tomates ou la polenta ne leur appartiennent pas ? Mais les deux ne sont apparus en Italie qu’au XVIIe siècle ! Nous voulons discuter sur les clichés existant par rapport à la cuisine russe et essayer de trouver des racines historiques de nos plats. C’est l’idée principale de notre nouvel livre.

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La publicité que vous voyez à côté n'a aucun rapport avec mes textes. Son apparition provient de la nouvelle politique d'over-blog.

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Basil_de_Moscou_3.jpgDescription: je suis russe, j'habite Moscou et c'est ma ville qui est le personnage principal de mon blog. J'aimerais vous présenter un tel Moscou qui n'est pas officiel.
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