La-voilà la réponse sur ma devinette à propos de la photo : c’est Lénine au centre de Paris en 1937. Cette statue a été apportée en France et exposée parmi les autres objets à l’intérieur du pavillon soviétique couronné par l’Ouvrier et la Kolkhozienne. A vrai dire, sous les pieds de ce couple immense il y avait toute une caverne d’Ali-Baba.
Outre des modèles de mécanismes divers et les projets architecturaux cette galerie de 150 mètres de longueur contenait une carte de l’URSS en pierres précieuses et les oeuvres en argent faites en technique traditionnelle russe du niellage - le tchérgne du nord, comme ça: clic. A la différence de ces dernières, la statue de Lénine n’a pas gagné un prix, peut-être parce qu’elle n’était pas assez canonique ? Bon, je blague.
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A l'intérieur du pavillon de l'URSS, Paris, 1937 |
Pourtant, à l’époque Lénine était déjà canonisé : pour les adultes il était « le chef du prolétariat mondial » et pour les enfants « le grand-papa Lénine». A propos ! En russe « Lénine » cela veut dire « de Léna », « d’Hélène » c’est pourquoi étant une petite fille j'interloquais souvent mes parents en leur demandant si Vladimir Ilitch était mon grand-père ou pas.
Quant à l’Ouvrier et la Kolkhozienne, eux aussi ne sont pas les proches de Lénine - ni de Lénine, ni de Staline, « père des peuples ». Les gens auxquels le couple doit son existence ne s’occupaient pas de politique.
Boris Iofan, leur père-créateur est né à Odessa, dans une famille juive, et faisait ses études à Rome. Là il a passé 10 ans, en édifiant des bâtiments et en étant devenu un membre du parti communiste italien. Ce dernier fait ne l'a pas interdi de se marier avec une princesse russe – Olga Ogariov-Mestscherski. Ce qui, à son tour, ne l'a pas empêché d'accompagner un jour dans la ville Alexey Rykov, le président du Conseil des commissaires de l’URSS qui voyageait incognito en Italie. C’est après cette promenade que Boris Iofan a décidé de revenir en Russie (en URSS bien sûr !). Les conséquences de cette décision existent à Moscou jusqu’à nos jours.
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Iofan est à droite sur la photo | Maquette de la Maison du quai, musée de ce bâtiment |
Boris Iofane est l’auteur de la Maison du quai et du Palais des Soviets qu’on planifiait à la place de la Cathédrale du Christ-Sauveur.
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Maquette contemporaine du Palais des Soviets,
centre d'exposition « Ouvrier et Kolkhozienne » à Moscou
Ce monstre n’a pas été réalisé mais Iofane a quand même obtenu le titre d’une des personnes principales du style stalinien en architecture.
Quant à la gloire mondiale, il en avait aussez après avoir réalisé les pavillons soviétiques pour l’exposition mondiale à Paris en 1937 et celle à New York. C’était son idée de couronner la construction par un homme et une femme qui symboliseraient le peuple tendant à un avenir radieux.
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Croquis du pavillon soviétique fait par Iofan |
On dit que Iofane s’appuyait sur un modèle grec – la statue « Tyrannoctones » représentant deux athéniens, les assassins du tyran Hipparque. L’architecte russe a pris le contour statique de la sculpture mais il a remplacé un des hommes par une femme. (Ne le racontez pas aux journalistes du Monde, sinon ils commenceront à écrire des bêtises en mentionnant la loi anti-gay !)
L’Ouvrier et la Kolkhozienne qui sont apparus à Paris n’étaient pas précisément tels que Iofan les imaginait cependant il a fait beaucoup pour leur succès en 1937.
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Une carte postale, Paris, 1937 |
Quatre ans plus tard, en 1941, Iofane réalisait un autre travail, peut-être le plus important dans sa vie. Avec une équipe d'architectes et d'ingénieurs il camouflait le Kremlin pour le défendre du bombardement. Son autre tâche de cette époque se trouvait sous la terre – Iofan réalisait le projet de la station « Baumanskaya » du métro moscovite.
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Iofan et son équipe devant la maquette du Palais des Soviets |
Iofan a vécu 86 ans, il a bâti plusieurs édifices remarquables, il a été élu citoyen d'honneur de New York et membre d'honneur de l’Institut Royal des Architectes Britannique, il a reçu plusieurs prix d’Etat mais, en effet, il reste le père de deux communistes les plus grands du monde.
Qui est leur mère ? C’est pour la prochaine fois.
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