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L’idée de la sculpture « l’Ouvrier et la Kolkhozienne » est venue dans la tête de Boris Iofan mais ce n’était qu’une image, un croquis. Il manquait un sculpteur et quatre artistes ont reçu l’invitation gouvernementale au concours pour le meilleur symbole du peuple soviétique.
En haut : les projets présentés au concours par les sculpteurs Manizer et Andréév.
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Vous savez, je crois, que c’était Vera Moukhina qui a gagné l'épreuve, la seule femme parmi les prétendants.
Vera Moukhina est née à Riga dans une famille de marchands aisés. Sa mère est morte de la tuberculose quand Vera avait deux ans. Le père de Vera, en cherchant à la protéger de cette maladie, l’a emmenée à la Crimée. Là Vera a commencé à apprendre la peinture, puis elle a continué ses études à Moscou, dans l’atelier de Constantin Juon, un peintre célèbre.
A Théodosie (la Crimée), 1903 | Les soeurs Moukhines, 1905. Vera est à droite. |
Vera avait 22 ans quand, en descendant en luge elle s'est écrasée contre un arbre et a presque perdu son visage dans toute la force de ce terme. La guérison était longue et difficile. Les proches ne lui donnaient pas le miroir pour ne pas ajouter une blessure morale à ses traumatimes physiques. Dès que les balafres de Vera sont devenus peu apparentes, sa famille l’a envoyée en France pour que la fille puisse s'étourdir et s’amuser.
Vera a passé deux ans à Paris. Pouvez-vous deviner comment elle s’amusait ? Vera suivait les cours de peinture dans l’Académie Colarossi et ceux d'Antoine Bourdelle.
Puis elle a fait un voyage en Italie et est revenue en Russie. C’était au début de la Première guerre mondiale et Vera a quitté la peinture pour devenir une soeur de charité ...
Vera à l’hôpitalmilitaire, 1915 |
A l’hôpital Vera a rencontré Alexey Zamkov, médecin, qui est devenu son mari. Il faut dire quelques mots sur cet homme. Etant un membre du parti socialiste révolutionnaire, il participait à la révolution russe de 1905. Puis il a quitté la politique et jusqu’à ses derniers jours il répétait que « il faut guérir les gens et pas les tuer ». Dans les années 20 il travaillait dans l’Institut étatique de la biologie expérimentale et a créé la première préparation hormonale du monde – le « Gravidane ». En 1930, pendant une campagne contre « les faux médecins », son projet a été fermé. Zamkov a essayé de quitter l’URSS pour continuer ses recherches à l’étranger mais on l’a arrêté. Il a été accusé de tentative de vente de son invention aux « capitalistes » et condamné à 3 ans d’exil avec confiscation des biens. Cependant sa vie a pris une bonne tournure : les dirigeants du pays ont remarqué le « Gravidane » et l’ont trouvé « perspectif ». Ils ont libéré Zamkov et l’ont nommé directeur d’abord d’un laboratoire et puis d’un Institut spécialisés de la Gravidane-thérapie. Pourtant en 1938, l’Institut a été fermé et Zamkov a été beaucoup critiqué. Il a eu un infarctus et a mort.
Revenons quand même à Vera Moukhina. Dans les années 20 elle est une participante active du plan de la propagande monumentale proposé par Lénine pour promouvoir l'idéologie communiste par l'art plastique.
Vera avec son mari et son fils | « Paysanne », copie diminuée de la statue réalisée par Vera Moukhina en 1920 |
En outre Vera aide Nadejda Lamanova, modéliste et une des personnes clefs de la mode soviétique. Ensemble elles préparent une collection des vêtements pour l’exposition mondiale à Paris de 1925 et reçoivent son prix.
Vera Moukhina : costume d’archer pour le baillet non-réalisé « Nalae et Damayanti » | Vera Moukhina : « Lutte entre l'homme rouge et l'homme noir », 1918 |
Puis Moukhina entre dans l’équipe chargée de la préparation des expositions soviétiques à l'étranger. Bref, ce ne l’étonnait pas d'être invitée au concours sur la version de « l’Ouvrier et la Kolkhozienne ». Ce qu’elle n’a pas peut-être attendu c’est la victoire de son esquisse et ce travail énorme qui l’a suivie. On n'avait que 3 mois pour créer les figures 15 fois plus grandes que leurs modèles en tenant compte de toutes les nuances les plus petites. Par exemple, pour comprendre l'éclairage futur de l'ensemble, un petit modèle (1:100) a été apporté au Planétarium moscovite où on a simulé la disposition du soleil à Paris.
Le détail le plus difficile c'était l’écharpe de la Kolkhozienne. Ce chèche de 30 mètres et de 5,5 tonnes de poids a posé plusieurs problèmes à Moukhina et son équipe. Sa construction exigeait beaucoup de temps ce qui suspendait tout le travail.
Enfin la solution a été trouvée mais le directeur de l’usine où on réalisait la statue, a écrit une dénonciation. Il disait que Moukhina avait inventé l’écharpe exprès pour que l’ensemble se casse et que certains « spécialistes » avaient trouvé le profil de « l’ennemi du peuple » Trotski dans les plis de la jupe de la Kolkhozienne.
L’ambiance à l'usine était tendue mais après trois mois le montage de la statue a été terminé. Tout de suite on a commencé son démontage pour transporter l’Ouvrier et la Kolkhozienne en France.
« L’effet que cette oeuvre a produit à Paris, m’a donné tout ce qu’un artiste peut souhaiter », - a dit Vera Moukhina après son retour de l’exposition mondiale. Enthousiasmée, elle travaillait beaucoup mais presque tous ses travaux restaient inachevés et non-prisés.
« Employé d’EPRON », 1934 EPRON – l’Expedition pour les travaux sous-marins fondée en 1923 pour relever les vaisseaux coulés | « Icare », l’esquisse pour le monument non-réalisé « Panthéon des aviateurs », plâtre, 1938
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On lui a demandé plusieurs fois de créer un portrait de Staline mais Vera évitait ce travail en demandant la présance personnelle du « Vojd ». Leur rencontre n’eut jamais lieu, ainsi que l’exposition des oeuvres de Moukhina réalisée de son vivant.