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23 octobre 2019 3 23 /10 /octobre /2019 14:39

Un Français sort bientôt dans les salles russes mais ce n’est pas pour la nationalité que le film mérite d’être vu. C’est pour son style qui ne ressemble pas au cinéma hollywoodien (une rareté maintenant) mais avant tout pour « le terrain » du sujet. Le realisateur Andreï Smirnov avoue avoir filmé sa « réflexion sur qu'est-ce que cela veut dire – avoir vécu en Russie du XXe » et prend la fin des années 50 pour son point panoramique. La disposition est idéale pour faire un bilan psychologique de la première moitié du siècle et observer la genèse du caractère russe contemporain. Mais ces explications sont hors cadre, et qu’est-ce qu'il y a dedans ?

Le sujet

C’est tout ce que vous aimez en Russie : la neige, le ballet, la littérature, les belles femmes - et la vodka, et le KGB ...

bande annonce du film

Nous sommes en 1957, à Moscou qui vient d’accueillir le VIème Festival international de la jeunesse. Les soviétiques ont communiqué avec les étrangers pour la première fois dans leur vie et sans en être punis – merci le dégel qui bat son plein. Il remplit la ville d’une ambience de libérté inédite, prometteuse et ... autorisée.

L’Etat soviétique ouvre ses portes aux étrangers, au moins il le déclare, et quelques Français en profitent. Ils viennent à Moscou pour faire leurs études à l’Université d’Etat, y compris le personnage principal du film, un certain Pierre Durand (joué par Antoine Rival - yes). Outre les projets de formation, il a un but personnel : trouver un proche dont les pistes sont perdues en Russie dans les années 30. Son ênquete lui fait se mettre en voyage plutôt sociologique que géographique, car il se croise avec toute une galérie de types soviétiques de l’époque. Les fonctionnaires et les ouvriers, les ex-nobles et les ex-détenus du GOULAG, les habitants de la capitale et de la campagne, les artistes, les étudiants, les agens, ceux qui s’adaptent, se soumettent et ceux qui osent – ils effleurent cet étranger demi-étonné, demi-confus.

Lui aussi, entre l’arrivé et le départ, il passe toute une vie, courte, dense, différente de tout ce qu’il a eu et qu’il aura. Pourtant ce n’est pas elle, ce sont les lambeaux des biographies russes qui tissent l’histoire – celle du film et celle du pays, maquillé de l’optimisme soviétique, rempli du passé tragique et d'une pauvrété sans issue.

Un Français dans le cinéma russe

- Vous êtez trop sérieuses, comme les retraitées.

- Nous sommes élevées par le Komsomol et nous pensons que le commun surpasse le privé.

Ici tout le monde sont les frères et les surveillants ; les fils des popes enseignent le Marxisme (« Globalement, c’est la même chose que la réligion !») et les prisonniers des camps démontent les théorèmes de Gödel (« Les mathématiques supérieurs sont comme les jambes de femme : plus tu montes, plus c’est intéressant »). Ici il faut cacher ses lettres et ses pensées des voisins mais un verre de vodka avec les inconnus ne comporte pas de risque.

C’est une réalité sombre, étouffé mais les nouveaux amis de Durand lui ouvre son côté plus vivante - celui de la jeunesse et de l’art non-officiel. Le Français écoute du jazz dans un sous-sol (« Tu vois, ici le jazz n’est plus intérdit ... mais n’est pas encore autorisé. ») ; regarde la peinture informelle dans une baraque en banlieue et lit un almanach auto-publié avec les oeuvres des poètes non-admis à la presse officielle. Cependant il comprend très vite que le dégel n’est pas un vrai printemps : le système veille toujours à ce que la liberté des pensées reste dans le cadre autorisé, dans une égalité culturelle ... qui n’existe pas !

L’histoire

Bien que Pierre Durand soit une personne imaginaire, son histoire se construit sur les faits réels. En raison de son âge le réalisateur Andreï Smirnov aurait pu être un témoin du fameux festival si, cette été-là, il n’avait pas été en France, participant à un programme d’échanges scolaires. Presque en même temps, un groupe de jeunes Français est vraiment venu à Moscou pour un stage dans les études slaves. Il y avait – entre autre – le future traducteur de Soljenitsyne et slavisant Georges Nivat, dont l’amour avec la fille de la compagne de Boris Pasternak a peut-être son écho dans le film ... Comme les souvenirs des autres ex-étudiants que le réalisateur a rencontré avant de commencer le tournage, comme les récits des Russes, participants de l’underground soviétique de l’époque. 

L’épisode du vernissage dans une baraque évoque la vie du peintre Oscar Rabin, fondateur du groupe Lianosovo reunissant les postavantgardistes Kropiwnicki, Masterkova, Nemoukhine et autre artistes presque interdits. D’après le pouvoir, ils s’écartaient du réalisme soviétique, le seul style autorisée en URSS, mais en effet leurs oeuvres étaient trop proche de la réalité russe ... Ce sont ces peintres qui ont organisé l’exposition Bulldozer en 1974 et dont les tableaux se retrouvent maintenant dans les musées de l’art contemporain du monde.

Un Français dans le cinéma russe

Le groupe de Lianosovo avait aussi sont côté littéraire, poétique dont les participants ont été publié dans l’almanaque « Syntaxis », fondé par Alexander Guinsbourg. C’est à sa mémoire que le film est dédié. Un des premiers défenseurs des droits de l'homme en Russie, il a été condamné à deux ans de camps pour la publication de son magazine ... ou plutôt pour avoir osé le faire librement, sans demander une autorisation. Deux ans pour trois cahiers de poésie. Il est revenu au camp encore deux fois pour finalement être expulsé de l’URSS en 1979. Il a vecu en France jusqu’à sa mort en 2002.

La femme qui a passé un an au prison pour avoir copié le « Syntaxis » à la machine joue, elle aussi, un petit rôle dans le film ... Comme le réalisateur le dit, c'est une « réflexion sur qu'est-ce que cela veut dire – avoir vécu en Russie du XXe. Le plus souvent les gens de cette époque avaient les destins tragiques. »

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La publicité que vous voyez à côté n'a aucun rapport avec mes textes. Son apparition provient de la nouvelle politique d'over-blog.

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Basil_de_Moscou_3.jpgDescription: je suis russe, j'habite Moscou et c'est ma ville qui est le personnage principal de mon blog. J'aimerais vous présenter un tel Moscou qui n'est pas officiel.
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