Je vous propose un jeu de piste :) A Moscou ils sont maintenant très demandés : on cherche les trésors d’Ivan Terrible, les plans de Da Vinci, le chapeau d’Harry Potter etc. Finalement, il y a tant de choses utiles mais irréelles ! Pourtant moi, je vous propose de vous mettre en quête de ce qui a un rapport à la réalité, au moins à l’histoire russo-française. Et voici notre terrain :
Alors, on va chercher les pistes françaises chez un paysan aisé vivant près de Moscou au début du XXe. Actuellement la maison fait partie d’un village historique construit dans le parc Koloménskoé. Avec une forge et un moulin dans le voisinage, cette isba est donc un modèle en grandeur nature et vous fait supposer à voir ses habitants tout de suite derrière la porte.
En quelque sens c’est vrai : il y a un(e) surveillant(e) qui vous invitera au deuxième étage, au début de la visite. Si vous parlez russe, on vous expliquera que, d’habitude, une isba cossue avait les locaux auxiliaires en bas et les pièces habitables en haut. Comme celle ci-dessous avec le boulier et un pupitre où se trouvent les documents :
Et voilà la première piste française : les photos sur le mur signées par l’atelier de Maxime Dmitriév. A la fin du XIXe, il s’est rendu célèbre par les sujets sociaux de ses oeuvres. La plus connue avait le titre « L’année de mauvaise récolte 1891-1892 » et contenait les images de la campagne dévastée et des médecins qui essayaient de aider les paysans souffrant du typhus ... Dmitriév est donc un des fondateurs du reportage photographique en Russie. Où est la France dans cette histoire ? La-voilà : son enseignant, peintre et photographe Andrey Karéline, a été membre de la Société française de photographie.
La pièce principale de l’isba est divisée par le four en une petite cuisine et une grande salle – à la fois le salon, la chambre à coucher etc. Là, en diagonale du four, il y a le coin rouge, autrement dit « principal » de la maison où on met les icônes et fait asseoir les visiteurs honorés.
Au tournant du siècle, la vie citadine entrait à la campagne russe en y changeant les détails habituels et avant tout les meubles. Les chaises cannées en sont un des exemples car auparavant les isbas, même les aisées, connaissaient seulement les bancs. On les utilisait pour s’asseoir, pour y dormir, pour y étaler la vaisselle et pour mettre au-dessous d’eux les coffres avec les ustensiles de ménage. Bref, les bancs s’alignant le long des murs ont été les meubles multifonctionnels. Par contre, les chaises, les lits ou les buffets avaient plutôt rang de décoration, comme les photos ou par exemple les phonographes.
A propos, les Russes disent plus souvent « les pathéphones » car c’est l’entreprise des frères Pathé, productrice de films, qui a commencé la vente de ces appareils en Russie. La société a ouvert une filiale à Moscou en 1908 pour projeter les films et pour la tournage « sur place ». Elle s’avançait pas mal et vers 1910 contrôlait déjà presque 70 pour cents du marché cinématographique russe. Avez-vous remarqué ? on vient de trouver la deuxième piste française. Pour la troisième, il faut descendre au premier étage, dans la boutique.
Nous sommes chez un paysan aisé, vous vous en rappelez ? Evidemment, la base de sa fortune ne se trouve pas dans le potager. Elle est là, dans la boutique où il y a des marchandises proposées par la ville aux habitants des villages. L’huile à brûler, le savon, les allumettes, le thé et la naphtaline, les étoffes industrielles – tous les produits nécessaires pour un ménage. L’assortiment est modeste et pratique ainsi que l’intérieur dont la seule décoration consiste en affiches publicitaires de l’époque collées sur les murs. Il y en a deux qui peuvent intéresser dans notre quête.
Quant à Rallet, il a créé tout un empire de parfumerie dont la production se vendait en Europe ainsi qu'en Asie. En Russie elle a été aussi demandée malgré le prix qui n'était pas petit : un flacon d'eau de Cologne coûtait 1 rouble, en boîte-cadeau - 3 roubles.
L’image de droite offre les petits fours français. C’est le moyen avec lequel Adolf Siou, un parisien, a conquis la Russie. Il est arrivé à Moscou dix ans plus tard qu’Alphonse Rallet mais avec le même espoir de réussir. Etant aussi parfumeur il a pourtant choisi un autre domaine pour appliquer ses forces : la confiserie. Siou a découvert qu’en Russie on ne produisait pas de chocolat et il s’est lancé à réparer la situation. Peu à peu l’entreprise s’est agrandie et vers le début du XXe elle possédait déjà un complexe d’usines produisant la pâte de fruits, les gâteaux, les dragées, les pains d'épice, les confitures – bref, toutes les composantes de la vie douce. Globalement cette gamme existe jusqu’à nos jour car après la révolution l’usine de Siou a changé son propriétaire et son nom mais pas sa spécialisation.
On continue ?
C’est le résultat de la sélection réalisée par les paysans du Koloménskoé pour lesquels le chou à été la spécialisation principale. Leur production s'appréciait beaucoup, surtout en état aigre : on fournissait la choucroute « Koloménka » aux restaurants moscovites et même à Saint-Petersbourg pour la table tsariste. La demande engendre l’offre et les villages voisins de Moscou produisaient les tonnes de choux aigre en le conservant dans des tonneaux énormes, comme celui-ci :
Il semble que ça suffit pour un jeu de piste.
Pour ceux qui voudrait tout voir par leurs propres yeux voici l'information utile :
la maison de paysan aisé est ouverte de mardi à vendredi et le dimanche de 10h jusqu'à 18h, le samedi - de 11h jusqu'à 19h.
Le prix de billet est 100 roubles (valable pour 2016).
Adresse : 84, rue Bolshaya, territoire du parc Koloménskoé