Une rue tranquille où les maisons à deux étage somnolent béatement autour d’une cathédrale – s'il n'y avait pas d'autos et de fils électriques, on ne dirait jamais que c’est le centre de la capitale. Le siècle, on ne le devinerait pas non plus …
Le temps a son horaire : quelque part il court, quelque part il tarde. Quelque part il mélange le passé et le présent et c’est là où apparaissent les histoires étonnantes. En voici un cas.
Ce bâtiment a l'air typique des édifices de la noblesse russe créés à la fin du XVIIIe siècle. Ils ont disparu presque tous dans l’incendie de 1812. Ceux que le feu a épargné ont été rachetés par les négociants vers le milieu du XIXe siècle. Cet edifice ne fait pas d’exception.
Les possesseurs de la maison, les marchands Zoubov, ont fait fortune grâce au commerce des étoffes mais ils sont entrés dans l’histoire comme des personnalités de la culture. A propos, c’était assez typique pour les familles des négociants moscovites que le talent de commerce des parents se transformat fantastiquement en talent artistique ou scientifique des enfants. Alexander Alekhine – champion du monde des échecs, Constantine Stanislavsky – professeur d’art dramatique, Sergueï Botkine – célèbre médecin, Abrikosov – lauréat du Nobel de physique – ce sont les porteurs des gènes des marchands moscovites. Voilà une alchimie ...
Les Zoubov sont aussi dans la même ligne : l'un des propriétaires de cet édifice, Pavel Zoubov, était chimiste et numismate célèbre.
Jadis c'était la pièce de la collection, maintenant c'est la salle des conférences. Photo du cite web de l'hôtel particulier Zoubov. |
En 1900, Pavel Zoubov a légué son énorme collection et sa bibliothèque (30 armoires de livres sur la numismatique !) au Musée historique d'État à Moscou. La même année, son fils Vassili est né, futur critique d’art et philosophe. Outre les oeuvres sur l’esthétique, la théorie de la perspective et les études sur la couleur, il écrira l’histoire de sa famille mais tout ça sera plus tard, d’abord la révolution de 1917 arrivera.
Les Zoubovs restent à Moscou malgré tout, ils ne quittent pas leur maison. Pourtant il ne sont plus ses propriétaires : les bolsheviks transforment l'hôtel en kommounalka où les anciens possesseurs n’ont pas plus de droit que les 28 nouveaux habitants. Plus tard, le bâtiment est devenu le Musée des supports visuels mais la famille Zoubov restait là et cela n’a pas changé non plus quand on a transmis l’édifice à une école. Là, Vassili Zoubov continuait à écrire ses oeuvres sur l’histoire et la philosophie de l’art, sur la théologie, sur l’architecture. Là, sa fille Maria est née et a pris le relais des conservateurs de ce bâtiment.
Les canapés du salon et l’armoire à livres appartenaient à la famille Zoubov. Il y a encore quelques objets historique dans la maison : les fours, les lustres, les vases et, bien que ça soit étrange, les miroirs et cinq pianos à queue. Comment ils sont parvenus à ne pas être brisés, c’est une énigme … |
Maria Zoubova a aidé sa maison à survivre à l'époque de la Perestroika et dans les années 90 où il y a eu cinq incendies criminels - ainsi on essayait de vider l’endroit pour y bâtir un nouveau édifice, plus moderne et lucratif. Cela arrive à Moscou, surtout au centre. Heureusement, la maison a survécu. Les Zoubovs y ont vécu plus de 150 ans et y sont restés jusqu’à nos jours, bien que cet hôtel particulier soit devenu ... la propriété d’une autre famille.
En 2005, le bâtiment a été acheté par les entrepreneurs Sokolovs qui l’ont restauré avec minutie.
En Russie, c'est très souvent qu'on colle des feuilles de journaux sur les murs avant d'y mettre les tentures. La restauration de la maison Zoubov a fait émerger un morceau de la presse de 1899 qu’on a conservé. Il contient entre autre l’horaire des trains et l’indication du niveau de l’eau dans la Moskova. Selon « un message téléphoné », au mois de février, le fleuve s'est levé jusqu’au 2.17 « sagènes » (ancienne unité de mesure russe) - c'est à dire 4.26 mètres et avait 0.5 oC. |
Grâce aux archives de Maria Zoubova, l’intérieur de la maison a été reconstruit le plus proche possible de celui prérévolutionnaire. On a même conservé le système d’aération de l’époque. Le système moderne de chauffage fonctionne aussi mais la maison fait des caprices c’est pourquoi, en hiver, telle ou telle pièce devient plus chaude que les autres.
Maria Zoubova continue à habiter cette maison et à s’occuper de l’héritage de son grand-père et son père. Grâce à cette dame, on a publié l’histoire de la famille écrite par son père Vassili Zoubov. Actuellement Maria Zoubova participe à la traduction d’un manuel français de philosophie, une autre oeuvre de son père.
Pourtant le fait le plus étonnant est ce que les nouveaux propriétaires ont ouvert l'hôtel pour les visiteurs. Bien sûr, ce n’est pas un musée, mais on y organise des visites guidées, des concerts, des expositions.
Photo du site web de la maison : le salon. Actuellement, on y organise des concerts. Pour les visiter, il suffit d'acheter les billets. |
L'évènement dont les représentants de la maison parlent avec une fierté particulière est la démonstration des meilleurs lots de la maison de vente aux enchères de MacDougall's en 2012. Pendant trois jours, les murs de l’hôtel portaient les chef-d'œuvres de Constantin Korovine, Constantin Somov, Ivan Aïvazovski. En même temps, les employés de la maison portaient aussi quelque chose de très lourd : la responsabilité. Pourtant, tout s'est très bien passé.
La galerie qui se trouve dans l'ancienne cave est l’endroit le plus paradoxal de la maison. C'est là où les parties les plus anciennes rencontrent celles qui sont les plus modernes.
A gauche : un des objets qui appartenaient toujours à l’hôtel. On les a perdu au cours du temps, puis retrouvés pendant la restauration. A droite : une des oeuvres d'un artiste contemporain. Les nouvaux possesseurs de la maison sont aussi des collectionneurs. La collaboration avec les sculpteurs est un des axes principaux de l’activité de la galerie qui est toujours ouverte pour les visiteurs. |
Le bâtiment a une double vie : celle d’une maison privée et celle d’un monument architectural. Il semble qu’on a trouvé cette formule alchimique où l’histoire et l’époque actuelle peuvent se côtoyer et se soutenir comme les deux familles soutiennent maintenant cette vieille maison.
L'adresse : 9, bâtiment 1, rue Alexander Solzhenitsyn, sur le map : clic