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Ceux qui prennent les rames pour se déplacer à Moscou connaissent très bien cette phrase. « Attention ! Les portes se ferment ! La station suivante est ...» – dit une voix masculine quand on va vers le centre et féminine dans le sens inverse. Il s’agit bien sûr des portes des wagons. Quant à celles des stations, il leur arrive aussi de se fermer et de temps en temps cette fermeture peut durer plusieurs mois. C’est en cas de renovation et c’est ce qui arrive avec la station « Baumanskaya » à partir d'hier.
Les portes de cette station seront fermées jusqu’au janvier 2016 avant tout pour changer des escaliers roulants qui y travaillent depuis plus de 70 ans.
S’ils pouvaient parler, ils nous raconteraient peut-être comment était-il possible d’ouvrir une nouvelle station du métro moscovite en 1944, un an seulement après la fin du blocus de Leningrad/Saint-Petersbourg. Une autre question qu’ils pourraient éclaircir concerne le titre de la station.
Jusqu’à hier, ces escaliers roulants ont été les plus anciens du monde parmi les mécanismes pareils en marche. A qui le tour ? |
L’annonce de la fermeture de « Baumanskaya ». |
On sait qu’au début la station devait être « Spartakovskaya » – « de Spartacus ». C’est pour ça que l’architecte de la station lui a donnée quelques accents « à la romaine »: le pavillon donnait l’idée sur les édifices antiques et dans les niches de la salle devaient être mis des gladiateurs en bronze.
A propos, l’auteur de la station est Boris Iofan, le « père » de l’Ouvrier et la Kolkhozienne. |
Pourtant les esclaves romains ont été remplacés par les soldats soviétiques et leurs compatriotes, les ouvriers. La Deuxième guerre mondiale explique ce changement mais pas le nom de la station.
Le quartzite des pylônes est de la même sorte que celui du mausolée Lénine à Moscou et du tombeau de Napoléon à Paris. Le minéral provient du village de Chokcha, en Carélie. |
« Baumanskaya » – c’est à dire « de Bauman » en russe. Alors, qui est cet homme, un héros de la guerre peut-être ?
Pas du tout. Nikolaï Bauman n'y a pas participée étant mort en 1907. Il appartient à la génération des premiers bolsheviks qu’on a légendarisés peu à peu dans les années 20 et 30. Un jour je vous proposerai peut-être la traduction de quelques contes sur Lénine, c’est de la mythologie pure !
Quant à Bauman, il fut vétérinaire par métier et révolutionnaire de fait, le chef du bureau bolchevique de Moscou. En 1907, son organisation a réalisé une manifestation pendant laquelle un membre du parti nationaliste a tué Bauman. Le révolutionnaire a reçu quelques coups de bâton sur la tête. Par devant le juge, le tueur a expliqué son action par la haine personnelle envers tous ceux qui portaient les drapeaux rouges. On l’a condamné à 16 mois d’emprisonnement correctionnel en lui ayant compté accessoirement le vol d’un samovar.
Deux mois plus tard, cet homme a été libéré après un recours en grâce donné par le ministre de la Justice. Ce dernier supposait que l’action du tueur était la conséquence d’une vague « de mouvements antigouvernementaux qui insultaient les sentiments patriotiques des enfants fidèles de la patrie ».
Pourtant, comment tout ça est lié avec le métro ? Le rapport est géographique. On a mis le pavillon de la station exactement au début de la rue qui a été le lieu de la manifestation, fatale pour Bauman.
En 1922, cette rue a été rebaptisée en son honneur. Un peu plus tard, on a donné son nom à l’Ecole technique d'Etat qui se trouvait à côté et dont le titre originel était indécent dans la réalité soviétique – « l’Ecole impériale de formation technique ». Ainsi un vétérinaire est devenu « le patron » des ingénieurs russes.
Effectivement, l’Ecole a été fondée au XVIIIe siècle par Cathérine II et s’est installée dans un palais. Dans les années 60 de XXe, l’institution a reçu encore un édifice, tout neuf et beaucoup plus large, que je vous présente dans les photos. Partiellement. Un peu plus tard, l'Ecole a obtenu le statut d'Université. |
A propos, parmi les étudiants de l’Ecole il y a Sergueï Korolev, le créateur du premier satellite artificiel de la Terre et le chef du programme sur le premier vol spatial habité (1961).
Quant à la station du métro, en 1963, elle a eu son premier renouvellement qui n’a touché que ce panneau en mosaïque.
Au début, le drapeau en marbre portait deux profils : Lénine et Staline. Après quelques manipulations, Lénine est resté tout seul et regardant une autre direction ce qui était bien symbolique.
Cette écriture, toute petite, est une grande vedette du métro. Les citadins, surtout les habitués de « Baumanskaya » connaissent bien ces chiffres mais personne ne peut les expliquer. Il est possible qu’on n'en trouvera jamais la clé car cette plaque de marbre sera remplacée au cours du renouvellement de la station.
La petite « Baumanskaya » porte les pistes de tous les virages de l’époque soviétique : dès la période prérévolutionnaire jusqu’à la déstalinisation etc. Qu’est-ce qu’elle recevra après son deuxième renouvellement ? Qui sait. La municipalité a promis un escalier roulant complémentaire, des nouveaux systèmes de services publics et un rafraîchissement délicat du marbre de l’intérieur. On verra ce que nos jours peuvent ajouter au visage de cette station. J'espère beaucoup que ce ne sera pas un centre commercial ou un parking souterrain. En tout cas pour le moment – « Attention ! Les portes se ferment !»