Si ce n'est pas d'information utile c'est quand même une tranche de la société russe contemporaine ...
Ce bâtiment du XIXe abrite maintenant un théâtre qui porte le nom de Nikolay Gogol, un des « pères-fondateurs » de la littérature russe. On dirait, c’est le classique respectable en personne. Pourtant c’est la façade qui est tranquille, pas le contenu.
Avant 1917, l’immeuble était un dépôt de machines. Il fallait donc avoir une logique révolutionnaire pour y installer un théâtre considéré comme académique. Il y est resté jusqu’en 2012 où la municipalité l’a modernisé jusqu’au Gogol Centre, « l’espace dynamique qui fait rencontrer le sentiment de liberté absolue et celui de réalité objective ...» La transformation a provoqué un scandale (la situation classique, quand même) mais ce n’est pas le sujet de ce billet. Il s’agit de ce qui est arrivé, dimanche passé, avec le hall de cet « espace » offert pour quelqu’un encore plus dynamique.
Mais qu’est-ce qu’ils font tous ces gens ?
Ils ... charlottent !
Dommage que ce verbe n’existe ni en français ni en russe car cela serait la meilleur et la plus courte définition de tout ce qui a eu lieu dans le théâtre. Bien sûr, l’évènement a eu son nom officiel – le 4eme Festival de la charlotte. Organisé par le fond « Les coeurs d’enfants » il a uni les amateurs de la tarte aux pommes. Les spécialistes de sa préparation et ceux de son engloutissement sont venus en famille pour vendre au pour acheter les charlottes au profit de la charité.
Antonin Carême, l’inventeur de la « charlotte russe », supposait à peine qu’un siècle plus tard, sa tarte aux pommes soit une des préférées en Russie. Evidemment, on a changé la recette du chef français, surtout après la révolution qui n’y a laissé que quatre ingrédients : oeufs, pommes, farine et sucre. Cette simplicité a fait de la charlotte une reine de la cuisine automnale en URSS mais il fallait attendre des années 2000 et l’apparition des « Coeurs d’enfants » pour que la tarte reçoive un rôle humanitaire.
Le but du fond est d'aider les enfants menacés par les pathologies cardiaques compliqués par l’absence d’argent dans leurs familles. L’organisation des Festivals de la charlotte en est un moyen efficace. Effectivement, le secret du succès est classique : une fête, plutôt familiale, soutenue par les entreprises-sponsors.
Invitez les dames et les monsieurs à présenter leurs charlottes, vendez chaque morceau pour 100 roubles (2 euros)
ajoutez la loterie (300 roubles/6 euros pour un billet)
épicez par une vente aux enchères des tartes faites par les célébrités – et voilà !
Ce n’est pas un Sotheby’s mais 10 000 roubles (200 euros) pour une charlotte c’est pas mal.
En cas où il ne s’agit pas du maître Carême, bien sûr ;)
En total, le 311 900 roubles (environ 6 240 euros) sont accumulés pour une petite fille qui a besoin d’une intervention chirurgicale dont le prix constitue 256 195 roubles (environ 5 120 euros). Ce n’est pas terrible à l’échelle mondiale mais immense pour une famille gagnant 30 000 roubles (600 euros) par mois ...
Le moment culminant du festival : le Maître de charlotte et la Reine de charlotte sont choisis
et reçoivent leurs prix pour les meilleures tartes.
Certains demanderaient pourquoi l’Etat ne se charge pas de ces enfants. Si ce n’est qu’un grognement, je le trouve trop en style de l’URSS. J’ai vu pas mal de personnes que la vie soviétique a habituées à tout critiquer sans rien faire. Ils transmettent ce comportement à leurs enfants qui continuent la grande affaire des parents : attendre que les autres résolvent les problèmes.
Il semble que ceux qui « charlottent » pensent autrement : si tu peux faire quelque chose – vas-y ! Cela ne veut pas dire que le gouvernement n’est pas responsable. Tout simplement, pour le faire bouger il faut bouger soi-même. En ce cas, pourquoi ne pas commencer par les charlottes de charité ?