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28 mars 2015 6 28 /03 /mars /2015 11:01

C’est en regardant cette neige forte qu’on a eu à Moscou il y a quelques jours que j’ai pensé aux écrevisses : où passent-elles l’hiver ? Le savez-vous ? Non ? C’est bon car en russe quand on promet à quelq'un de « montrer où les écrevisses hivernent » cela veut dire qu'on le menace de la punition.

Moscou, mars 1015

C'est parce que jadis parmi les seigneurs il y avait de grands amateurs d'écrevisses qui obligeaient leurs paysans-serfs à pêcher ces bêtes même en hiver. Logiquement, cette tâche est devenue une sorte de punition car, en cherchant les écrevisses sous les souches, les pêcheurs passaient des heures dans l'eau froide. Jusqu’à nos jours, étant fâché, on peut promettre à l’offenseur de lui montrer où les écrevisses passent l’hiver.

Pourtant, il y a des exceptions. Par exemple, il m’est arrivé de montrer à mes amis étrangers l’abri hivernal d’une écrevisse pour les raisons tout à fait pacifiques. Celle-ci :

Une écrevisse aux yeux de saphir, « élevée » au début de XXe siècle à Moscou,

par Egor Tchériatov pour la maison de Féodor Lorié, un des concurrents de Fabergé.

A propos de ce vase en cristal : à quoi il sert, qu’en pensez-vous ?

 

Elle appartient peut-être aux écrevisses les plus grandes du monde ... et les plus chères, je pense. Parce que cet exemplaire est en argent et pour cette raison elle passe toute l'année dans le musée du palais Tsaritsino.

La taille de la bête donne une idée sur le rôle particulier des écrevisses dans la réalité russe. C'est juste et non seulement pour le domaine culinaire. Par exemple, quand on parle sur l'impossible, on dit que cela arrivera « quand une écrevisse sifflera sur une montagne. » Une remarque importante : l’influence magique des arthropodes sur la vie ne fonctionne qu'en Russie. Ainsi, il ne faut pas accuser les écrevisses russes de l’absence du paradis dans le monde, d’accord ? :-)

Il suffit que leur réputation soit assez louche en Russie. Par exemple Alexandre Téréstchenko, un ethnographe du XIXe siècle, a noté la superstition selon laquelle les écrevisses ont été créées par le diable. C’est pourquoi les vieux-croyants ne les considéraient pas comme une nourriture permise. Pourtant là où un Français dirait que faute de grives on mange des merles, un Russe constaterait que faute de poissons on mange des écrevisses.

Notons qu'ici ce n’est pas la seule raison pour cuire ces bêtes. Elles sont un ingrédient principal de certains plats de la cuisine nationale et entre autre de la célèbre salade russe dite « Olivier » inventée dans les années 60 du XIXe siècle par un chef-cuisinier belge.

 « Salade russe », reconstruction historique réalisée par Olga Sutkine.

Photo du livre « Histoire non-inventée de la cuisine soviétique ».

 

La recette originale de la salade « Olivier » comprenait les écrevisses ou, plus précisément, leurs « petits cous ». Ce produit devait rendre perplexes les biologistes. Effectivement, comment les écrevisses russes se sont procurées des cous ?

Je n’ai pas de réponse. En revanche je sais que jusqu’à nos jours cette denrée étrange fait partie de la confiserie ... en tant que titre d’une variété de bonbons.

Bonbons caramelisés « Les petits cous des écrevisses ».

Version contemporaine produite par l'usine « Octobre Rouge » (« Krasnij Oktiabr »).

 

Le titre est apparu à la fin du XIXe siècle, un peu plus tard que la salade mentionnée et à la différence d’elle n’avait pas d’origine étrangère. Son créateur était russe, il s’appelait Alexeï Abricosov et à l’époque il possédait une des plus grandes usines de confiseries en Russie. Ce monsieur a été connu grâce à la publicité insolite et sympatique qu’il inventait pour sa production.

La publicité d’une autre sorte de bonbons pour lesquels

Abricosov a choisi un titre aussi étrange - « Les becs des canards » ...

 

Abricosov savait attirer la clientèle !

Voici un exemple : en 1880, peu avant la fête de Noel, les journaux moscovites ont raconté que M. Abricosov, cet original, embauchait les demoiselles de magasin selon la couleur des cheveux. Ainsi – expliquait la presse – dans une de ses boutiques toutes les vendeuses étaient blondes et dans une autre – brunes. Le public venait tout de suite pour vérifier et, au passage, achetait les friandises.

Baptiser un caramel « Les petits cous des écrevisses » c'était une extravagance de même sorte. Les amateurs des bonbons ont appréciés cette friandise, son extérieur original et son intérieur composé de farce aux amandes.

« Les petits cous des écrevisses » rappelant les petits queues des crevettes.

 

Après la révolution de 1917, l’usine de M. Abricosov a été nationalisée mais continuait à produire la plupart de sa gamme. Les « Petits cous des écrevisses » ont ajouté un peu de bon goût à l’enfance soviétique. Jusqu’aux nos jours, ils ont leurs fans. Personnellement moi, je trouve qu’ils sont bons avec une tasse de café et des pensées sur le destin des écrevisses russes ...

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La publicité que vous voyez à côté n'a aucun rapport avec mes textes. Son apparition provient de la nouvelle politique d'over-blog.

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Basil_de_Moscou_3.jpgDescription: je suis russe, j'habite Moscou et c'est ma ville qui est le personnage principal de mon blog. J'aimerais vous présenter un tel Moscou qui n'est pas officiel.
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