Alors, commençons notre audio-expérience?
Pour aujourd’hui je voudrais vous lire deux traductions de la poésie de Jacques Prévert faites par Mikaïl Yasnov.
Mais d’abord je vous propose un petit morceau d’interview de Mikaïl Yasnov où il parle un peu de la différence principale entre les deux écoles de la traduction: entre l'école russe et l'école français. Elle a été faite par une de mes amies, Élena Kalashnikova, dont le livre sur les traducteurs russes est une œuvre unique et très intéressante. Grâce à Élena j’ai ce fragment duquel je vous ai dit et je le vous propose avec plaisir.
"Élena Kalashnikova: Le traducteur, quel volume de la liberté peut-il se permettre en faisant une traduction [littéraire], comment pensez-vous?
Mikaïl Yasnov: La réponse sur cette question peut être dans la formule connue "la traduction est l’art de pertes”. À mon avis, chacun de traducteurs résout ce problème principal à sa manière: puisqu'il est impossible de transmettre tout les spécificités d’original, il faut décider, de quoi peut-on sacrifier et pour quoi. [...] En principe on peut sacrifier de n'importe quoi, de n'importe quelles particularités de l'original, pour obtenir un but concret. Supposons que nous suivons l’école traditionnelle française de la traduction - en ce cas nous traduirons pas "en rime" et "en mètre", en perdant toute la structure formelle d’une poésie.
Élena Kalashnikova: C’est à dire en traduisant en prose.
Mikaïl Yasnov: Oui, en France la vision enracinée est celle qui détermine la traduction littéraire comme une forme de la traduction littérale, parfois rythmée, souvent absolument amenée jusqu’à la prose. Ça donne une exactitude de la traduction de pensée et de description des images. Mais d'autre part, pour nous [pour les Russes] ça fait la disparition de la chose principale – la disparition de la poésie [...] Je sais quelles batailles se sont déchaînées aux année 80 (et elles ne se sont pas terminées jusqu’au nos jours) quand grâce aux efforts énormes d’Éfime Aitkinde, qui a émigré à Paris, on a publié les anthologies de la poésie russe et les livres de poètes séparés qui ont été traduits en français en accord avec l’école russe de la traduction, c’est à dire ils étaient rimés et avaient la même quantité des lignes que les originaux russes. Les critiques français n'ont pas pu se réconcilier avec telle vue de la traduction littéraire, les centaines de pages sont déjà écrites sur ce sujet et les disciples les plus marquants d’Aitkinde (par exemple, un traducteur éminent André Markowicz) subissent les attaques critiques très fortes jusqu’aux nos jours.
[...]
Élena Kalashnikova: Et les jeunes traducteurs de la poésie française – existent-ils maintenant en Russie?
[...]
Mikaïl Yasnov: Malheureusement, il n’y a pas beaucoup de jeunes qui traduisent la poésie, la plupart d'eux traduit la prose. [...] Mais je ne pense pas que la traduction de la prose est plus simple que celle de la poésie, plutôt elle est plus difficile. Mais pour traduire la poésie vous devez avoir le talent poétique inné et pas beaucoup de gens ont ce talent.
Élena Kalashnikova: Alors, pourquoi la traduction de la prose est plus difficile?
Mikaïl Yasnov: Il me semble, que si vous traduisez la prose vous êtes obligés de comprendre et de transmettre l’intonation unique de l’auteur, et c’est difficile. La poésie, surtout la poésie classique est plus simple, elle a déjà l'ossature. Mais moi, je dis tout cela comme un traducteur de la poésie. Peut-être ceux-ci qui traduisent la prose, ils pensent qu’il est plus difficile de traduire la poésie. En effet, chaque traduction est difficile".
La version complète de cette interview est accessible en russe dans le site du "Magazine russe" (“Rousskiy journal”).
Et voici les traductions. Je ne suis pas une actrice professionnelle mais j’ai fait tous mes efforts.
On frappe
La traduction de Mikaïl Yasnov:
Text original:
Qui est là
Personne
C'est simplement mon coeur qui bat
Qui bat très fort
A cause de toi
Mais dehors
La petite main de bronze sur la porte de bois
Ne bouge pas
Ne remue pas
Ne remue pas seulement le petit bout du doigt.
Tant de forêts
La traduction de Mikaïl Yasnov:
Text original:
Tant de forêts arrachées à la Terre
et massacrées
achevées
rotativées
Tant de forêts sacrifiées pour la pâte à papier des milliards de journaux attirant annuellement l'attention des lecteurs sur les dangers du déboisement des bois et des forêts.